JASON & EIJI

searching for a muse

Un verre de vin, deux, puis trois. L'esprit emmêlé par les événements derniers ; plus rien ne semblait avoir de sens. L'équilibre de ses maux s'effondrait sous le poids de ses pensées, de ses fautes, de la culpabilité. La solitude s'était infiltré dans sa vie comme dans ses veines, compagnie intime jusque tard dans la nuit. Elle l'accablait d'une multitude de remords, de regrets, de questions. Des vacances, avait mentionné son agent, cependant, ça n'y ressemblait pas ; le maintenir loin de la scène, de ce qu'il chérissait le plus au monde, de la seule chose concrète qu'il lui restait, revenait à l'enfermer dans une prison dorée, scellé dans une camisole d'acier dont il ne pouvait irrémédiablement pas se défaire. Malgré cet amas monstrueusement lourd à porter, il avait en sa possession le pouvoir de se changer les idées ; seulement pour ça, faudrait-il déjà avoir de l'inspiration. La dernière collection avait été un tel succès que les accessoires comme les vêtements s'étaient vendu à une vitesse remarquable. Désormais en rupture de stock, il désirait réapprovisionner le site de nouveaux modèles, mais pour se faire, il faudrait tout recommencer du début. Couleurs, types, et égérie. Si pour la dernière mise en vente, une célèbre actrice américaine avait acceptée avec engouement de se prêter au jeu, à l'heure d'aujourd'hui, il n'avait pas la moindre idée du visage nouveau qui représenterait la marque cette année. Eiji marchait souvent au coup de cœur, mais à ce rythme là, il devrait se résoudre à enseigner le métier à ses chats. Rester enfermé entre quatre murs ne l'aiderait probablement pas à y voir plus clair. Assit sur son lit, son verre entre les doigts, il observait les croquis déjà griffonnés sur des feuilles volatiles. Rien de ce qu'il avait produit aujourd'hui ne l'inspirait vraiment et il savait que s'il désirait être à la hauteur de ce qu'il avait déjà pu faire par le passé, il devrait puiser dans son imagination ; une imagination qui naîtrait juste en voyant un sourire, un visage, un regard. Il voulait pouvoir impressionné, montrer qu'il était encore capable de surprendre, d'émerveillé. Il avait aussi besoin de se le prouver, de se prouver qu'il avait encore le pouvoir de faire des choses qui lui ressemble, aussi extraverti soit-elles. Les iris posés sur la vue panoramique, Eiji commençait à se dire que peut-être, là, dans cette ville, au coin d'une rue ou peut-être confiné entre les murs de son appartement, confortablement installé devant son écran, se trouvait ce renouveau qu'il cherchait tant, cette figure, cet emblème qui serait d'une beauté sans pareille, d'une finesse à la fois brute mais délicate, derrière laquelle serait dissimulé un brin de folie tenace et passionné qui serait en tous points, la muse de cette nouvelle collection. Dans un élan irréfléchi, sous l'envie du moment, il terminait son verre d'une traite, quittant ses draps en laissant ce foutoir tel qu'il l'avait mit. Pas d'exception, il abandonnait son pyjama pour une tenue bien moins confortable mais coloré et digne de l'image qu'il renvoyait au monde. Bien que son chat lui tourne autour, il n'y prêtait pas attention ; prouvant combien sa détermination à quitter sa cage de diamant lui brûlait la peau. Il saisissait une veste à la volée et claquait la porte derrière lui pour se rendre – grâce aux loyaux services de son chauffeur, dans un bar qu'il fréquentait régulièrement. Un lieu où l'ambiance posée, tamisée et indéniablement originale, lui donnait la délicieuse impression de n'avoir jamais grandi, de ne s'être jamais blessé aux alentours d'une relation, de ne s'être jamais écorché la peau, le cœur, l'esprit ; de n'avoir jamais songé à renoncer. Eiji prenait place sûr l'un des tabourets de cuir carmin qui longeait esthétiquement le comptoir ; « un whisky sans glaçon, avec un zeste de citron ? », demandait le barman, connaissant déjà la nature de sa réponse. Il lui adressait un signe de la tête pour confirmer la commande et pas loin de deux minutes plus tard, il lui glissait un billet dans la paume de la main. Alors qu'il s'apprêtait à porter son verre à ses lèvres, une présence nouvelle, non loin de lui, captait son attention. Perplexe, ou curieux de voir qui venait d'entrer dans cette tanière chaleureuse, presque intime, il lui jetait un regard furtif, laissant finalement ses orbes retombées sur son whisky. Ses doigts fins cognaient frénétiquement le verre au rythme du fond sonore qui couvrait les quelques conversations des clients ; l'écho de ses bagues contre le cristal raisonnait à souhait et son esprit ne daignait pas cesser de fonctionner. Il cherchait ; il avait déjà vu ce visage, ces fameux traits, ce teint et ces yeux là. Le souvenir lui revenait tel un éclair et presque aussitôt, il posait son regard sur cette âme dont il ne connaissait pas le nom ; « On s'est déjà vu plusieurs fois ces derniers temps, si mes souvenirs sont bon », déclarait Eiji, persuadé de ses dires.

JASON & EIJI

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Eiji arquait un sourcil – de qui d'autre pouvait-il bien parler ? De cet homme assit au fond du bar, à moitié ivre mort, le faciès écrasé contre la table, de ce couple en pleine rupture assit près de l'entrée ou encore de cette trentenaire installée seule, près des toilettes, les yeux rivés constamment sûr son téléphone portable, à attendre quelqu'un qui n'arriverait jamais. Observateur, attentif, son sens de l'analyse minutieusement travaillé au cours des dernières années lui avait servi, assez pour savoir que ce garçon qu'il avait sous les yeux n'était pas qui il prétendait être. Peut-être qu'en effet, c'était l'erreur de cet uniforme qu'il connaissait bien, qui avait trahi cet adolescent. Un léger rictus à la commissure des lèvres sous la tromperie dans laquelle était tombée le barman, il détournait les yeux pour les reposer sur son verre. Il ne répondait rien aux paroles si peu provocantes et irréelles de celui dont il ne connaissait pas le nom. Le barman lui même esquissait un faible rire, ils se connaissent plutôt bien et par conséquent il savait que l'artiste n'avait pas un emploi du temps qui lui permettait de stalker qui que ce soit. Eiji patientait, assez pour que l'homme posté derrière son comptoir, nettoyant quelques verres, ne s'aventure à l'autre bout du bar, c'est alors qu'il profitait de son absence pour prendre la parole ; « je pensais que l'alcool était interdit aux mineurs », commençait-il avant de porter son propre verre à ses lèvres afin d'en boire une bonne gorgée, aussi difficile soit-elle à avalée, elle n'en était que plus délicieuse. « C'est pas d'alcool dont on a besoin pour parvenir à écrire, juste du bon endroit et de la bonne musique », du moins pour sa part, c'est ce qui l'aidait dans les moments où son imagination faisait bloc contre son envie débordante de tâcher une feuille de l'encre de ses idées. L'alcool il l'utilisait en dernier recourt, lorsqu'il était en phase de 'je n'y arriverais pas', une triste phase dans laquelle on songe à baisser les bras avant d'être frappé par une vague de génie qui nous pousse à rédiger des pages entières.

Un mince soupir émanait de sa bouche avant qu'il ne daigne terminer son verre d'une seule et même traite, signalant au barman, enfin de retour, de lui en servir un nouveau. Dans un élan un peu vaste, il tournait de nouveau la tête en direction du jeune étudiant, celle-ci légèrement penchée sur le côté ; vagabondant entre quelques pensées, il l'observait, le détaillait, trait par trait. « T'es plutôt mignon », déclarait-il de sa franchise toujours aussi sincère, il n'essayait pas d'engager quoi que ce soit, de tenter une approche autre que professionnelle, le but n'étant pas de transgresser les lois de ce pays. « Ne te méprends pas, je n'essaie pas de te draguer, je m'y serai pris autrement », souriait Eiji en apportant une nouvelle fois son verre à ses lèvres - il fallait dire qu'il s'amusait régulièrement de l'esprit fermé des Coréens à ce sujet. Alors qu'il savourait la finesse de son whisky, une idée, aussi dingue soit-elle, venait de lui traverser l'esprit et elle ne semblait pas déterminé à déguerpir de son crâne avant d'avoir été examiné dignement. Malheureusement, il ne pouvait lui exposé ses idées là, comme ça, sans même connaître son prénom, sans en savoir davantage sûr lui. Du moins, il le pourrait ; il pourrait faire preuve de folie comme il en avait si souvent l'habitude, mais son agent ne serait probablement pas d'accord avec ce concept là. Quoi qu'il en soit, l'inspiration lui revenait doucement comme des vagues de chaleur aussi agréable que de doux rayons de soleil ; « Dis-moi, t'aimes bien t'aventurer dans des trucs un peu fou ? », demandait l'artiste, qui finalement s'était bel et bien rendu compte que l'avis de son agence ne comptait pas, il s'agisait de sa marque, de ses idées, de son imagination, de son oeuvre ultime créer de ses mains, de son propre esprit et il ne laisserait personne entacher ça.