o1. chaewon, ce soir tu viens, n'est-ce pas ? oncle chansook, toujours sur son dos. à croire que c'était lui son père, et pas son véritable père, celui qui était absent onze mois dans l'année et qui faisait semblant de la connaître. elle haussa les épaules. en plein brunch avec lui, elle n'avait pu lui donner d'autre réponse que ce petit geste physique - elle était désintéressée de toutes ces soirées mondaines guindées, toujours pleines à craquer de gens trop raffinés qui lui parlait de mariage et d'enfant. ils n'avaient toujours pas compris que chaewon tenait à sa liberté, à sa carrière qui décollait lentement mais surement, et surtout aux restants de sa jeunesse. elle s'y rattachait précieusement, peinant à se faire au temps qui passe. une promesse de venir faire un tour à sa soirée de complaisance le fit sourire, et il posa sa main sur son bras, le pressa en lui embrassant le haut du front. il devait s'éclipser, trop de travail en vue pour la soirée prévue. il était attendu pour donner les dernières instructions quant à la présentation des petits fours et de la décoration. passionnant. cette pensée arracha un rictus à la princesse blonde, qui dût se résigner à aller à cette foutue soirée. elle pouvait manquer à ses promesses à tout le monde, sauf à quelques personnes. son oncle en faisait partie. trop protecteur, il agissait véritablement comme un gardien - mission probablement confiée par son géniteur pour veiller à ce qu'elle ne reproduise jamais les erreurs commises dans sa jeunesse, et encore moins ce qu'il s'était passé deux ans auparavant.


que tu es belle chaewon! s'exclama sa tante, la femme de chansook. elle s'inclina devant elle avec un large sourire, cette femme était véritablement sa deuxième mère, et elle l'appréciait avec toute la naïveté enfantine dont est douée chaque relation entre une mère et sa fille. elle avait été acheter une nouvelle robe de soirée dans l'après-midi pour se montrer, friande d'attention et de petits regards en coin. non - en fait, elle voulait que les regards soient braqués sur elle, sans aucune pudeur ni timidité. elle avait envie de s'afficher aux yeux de tous, gracieuse et élégante, voulait être au centre de toutes les attentions et qu'on murmure sur son passage. elle marchait fièrement, sans avoir l'air hautaine (ils n'aiment pas ça, se rappela-t-elle). elle était à l'occasion arrivée en retard, juste pour que la salle soit pleine et qu'on la remarque à son arrivée, habitude de diva pas encore assez reconnue et adulée. elle salua quelques personnes, certaines connues, d'autres non. la grande majorité étant des personnes de son standing. riches, fiers, maniérés. sa propension a vouloir se faire aimer surgit, et quelque chose rugit en elle. elle regardait n'importe qui croisant son regard quelque seconde, prétendant être timide dans ses sourires en coin, déclenchant une conversation sur de petits riens pour se faire remarquer et aimer un peu plus. un serveur s'approcha d'elle pour lui proposer un coupe de champagne. breuvage pétillant divin, elle se sentait enfin dans une soirée mondaine. les bulles s'éclataient contre son palet, frétillaient contre ses muqueuses buccales et mouraient dans son œsophage, et elle en voulait plus. encore. encore. elle n'avait jamais été satisfaite, de toute façon. elle se dirigea à coup de grands pas décidés vers la pyramide de coupes de champagne, montée à l'occasion pour satisfaire les personnes plus âgées de la ville, les grands investisseurs, ceux que chansook essayaient de séduire ce soir. ils étaient attachés aux traditions, et monter une pyramide de coupes de champagne semblait en être une. son talon dérapa à quelques centimètres de la table de buffet. elle baissa sa tête quelques secondes pour vérifier que rien n'était cassé, son bras matrixé se levant pour attraper une coupe sans regarder ou sa main se posait et puis elle sentit quelque chose contre ses doigts. c'était chaud et elle en fût presque électrisée. elle releva sa tête, un peu déboussolée par ce contact physique et puis- elle la vit. douce jieun. tendre jieun. jieun aimée, éva détestée. elle sentit son coeur se serrer un peu plus quand l'autre lui sourit et lui glissa un bonsoir mielleux. elle se demanda ce qu'elle avait fait aux dieux pour qu'ils la punissent ainsi. pétrifiée par l'angoisse, elle réussit néanmoins à se ressaisir de face, pour sourire autant qu'elle pût. oh bonsoir. je ne savais pas que tu serais présente ce soir. ton lacé d'hypocrisie, elle prétendit s'intéresser à celle qu'elle avait tant aimé auparavant. à celle qu'elle aimait toujours, malgré le monstre qui sommeillait en elle. ça la détruisit un peu, de devoir lui mentir, elle a qui elle avait tout dit. elle a qui elle s'était dévoilée, sans retenue. elle lui avait tout donné, tout offert sur un plateau d'or, et elle s'était tout fait confisqué. comme un enfant à qui on a retiré son jouet préféré, elle avait envie de crier, de faire un caprice, de pleurer, mais elle se retint. elle devait lui montrer, qui était la plus forte désormais. et au fond d'elle, elle savait que la bataille était perdue d'avance, parce qu'elle ne pouvait rien contre elle.


@moon ji eun

o2. la brune a l'audace de lui sourire. elle aimerait afficher son dégoût latent pour cette facette publique qu'elle affiche avec tant de fierté aux yeux de tous. elle en décide autrement en voyant les amis de sa tante la regarder, chuchotant probablement sur la relation entretenue par les deux filles. chaewon se recule d'un pas, regagne ses esprits. elle ne peut lui en vouloir, pour ça, parce qu'elle-même doit prétendre être quelqu'un qu'elle n'est pas. que dirait son public s'il apprenait qu'elle aimait les filles, s'il apprenait qu'elle était lesbienne, dans un pays si conservateur qu'il serait prêt à la mettre au bûcher pour moins que ça? elle s'inquiétait à propos des rumeurs, préférait voir sa tête en gondole de kiosques avec des hommes pour faire taire les langues de vipère. plus elle regarde jieun, plus elle voit en elle. les deux ans de séparation n'avaient pas suffis pour lui faire oublier les mimiques et les tics d'éva, le démon qui la possédait. elle ne savait plus de qui elle était tombée amoureuse; probablement jieun au début, et elle avait fini par accepter éva. par lui passer le moindre de ses caprices, par se blâmer pour tout ce qu'éva n'aimait pas chez elle, ou n'aimait pas tout court, par assumer la responsabilité de choses qui n'avaient rien à voir avec elle. juste pour la garder un peu plus auprès d'elle, et pouvoir coller son front contre le sien dans l'intimité de sa chambre, en murmurant des paroles rassurantes et des je t'aime qui n'étaient probablement pas réciproques.

elle est belle, jieun. elle attire chaewon de tout son être, malgré tout ce qu'il s'est passé. elle aimerait être capable de la détester, mais maintenant qu'elle est en face d'elle, elle sait. s'attend à tout de la part d'éva. mais rien ne se passe, elle continue de discuter de choses futiles avec elle, comme si elles étaient des amies. elle persifle silencieusement ce comportement à des années lumières de ce qu'elle connaissait d'éva. elle aimerait passer une main dans ses cheveux, un peu par réflexe. la blonde aimerait sentir son odeur, réfugier sa tête dans le cou de la brune, parsemer son visage de tendres baisers. peut-être qu'elle réussirait à la faire changer, cette fois-ci. elle n'avait pas réussi la première fois parce qu'elle n'était qu'une gamine perdue et pathétique, mais elle avait changé. elle plairait à jieun cette fois-ci, pas à éva, qu'elle ferait dégager. elle était assez forte pour ça, maintenant. oh, oui ils vont bien. tant qu'il se fait ré-élire il est heureux, et elle est contente d'être à ses côtés. tant qu'ils ont la santé. elle détourne le regard vers les amies de sa tante qui les fixent toujours, plus ou moins discrètement. elle évite de rire, elle déteste ces vipères à l'affût du moindre ragot. c'est probablement elles, qui avaient dit deux ans auparavant à sa tante qu'elle sortait avec jieun. elles avaient pourtant pris le soin de rester discrètes, ne se voyant que chez l'une ou l'autre, dès que les parents étaient partis, prétendant être bonnes copines devant eux. c'est probablement elles qui l'avaient séparé de jieun, en colportant ces quelques nouvelles infondées dans les beaux quartiers de seohan, parce qu'elles avaient enfin quelque chose à dire, des gens à mépriser. ça l'éloigne du sujet, elle s'imagine que tout cela n'est qu'un rêve un instant. un beau rêve, un terrible cauchemar. l'amour de sa vie en face d'elle, et puis plus rien. elle flotte sur un nuage, son esprit s'embrume. elle reprend une gorgée de champagne et puis jieun revient à l'attaque. tu m'as manquée dit-elle en français. chaewon n'était pas étrangère à la langue, au contraire, elle la maîtrisait comme sa langue maternelle. elle se dit un instant que c'était peut-être une ruse d'éva - mais éva ne ferait jamais pareille chose en public. elle aurait violemment attrapé le bras de chaewon et l'aurait trainé dehors, et si elle était tombée à cause de ses talons et de la surprise, lui aurait crié dessus. son coeur se serre, elle aimerait y croire, et une part d'elle s'y accroche rapidement. elle hoche la tête, la baisse quelques secondes, ses veines pulsant dans ses doigts qui se crispent autour de la coupe de champagne. je- doit-elle se laisser tenter, succomber à ces quelques mots emprunts de douceur, ces quelques mots qu'elle aurait rêvé d'entendre il y à deux ans? toi aussi. c'est dit - pas plus fort qu'un souffle. mais elle à l'impression d'avoir le poids du monde qui s'est retiré de ses épaules, se sent légère d'un coup. elle l'a dit. enfin, elle l'a enfin assumé. et devant elle. elle était toujours sienne, chaque centimètre de sa peau et de son âme lui appartenant. et elle savait à quoi ça la mènerait, mais tant pis, son corps criait, désespéré. détruis-moi, jieun.


@moon ji eun

o3. c'est difficile pour chaewon d'être si proche et pourtant si loin de celle qu'elle a tant aimé, celle qu'elle aime toujours. elle a tenté depuis leur séparation de devenir quelqu'un d'autre, quelqu'un qui aurait pu correspondre à jieun, ou bien quelqu'un de trop bien pour jieun, mais devant elle, elle se sent vulnérable et faible. elle se sent entièrement à la merci de celle qui l'a brisée, et elle ne peut lutter. son influence est bien trop conséquente sur la blonde, et si elle lui demander de se tuer, chaewon le ferait en un instant, sans même hésiter. celle qui aimait tant se comparer à une lionne voit pourtant l'effet qu'elle a sur l'autre. eva aussi est faible devant la blonde, et d'un côté ça la rassure. de l'autre ... elle a peur de ce qui risque de se produire, d'ici quelques temps. un fossé se creuse entre elle, et la tête de chaewon se met à tourner. si tu n’es pas à la sortie dans une heure tu ne me verras plus jamais c'est lancé froidement, en français encore une fois, dans son oreille. sans même un regard, et la blonde regarde toujours droit devant elle en se dirigeant vers les amies de sa tante. quoi de mieux pour faire passer le temps qu'une partie d'hypocrisie sociale ?

vingt minutes plus tard, ou est-ce bien trente, elle est lassée de cette soirée mondaine. elle ne peut même plus boire, parce qu'elle ne serait pas capable de se rendre auprès de jieun - enfin, elle était sure d'avoir à faire à éva, ce soir - d'ici quelques temps. alors elle s'assit, dans un coin de la salle, pour essayer de se vider la tête avant leur confrontation. elle aimerait avoir quelqu'un à appeler, mais si elle venait à téléphoner, elle se rendrait que trop compte des enjeux de cette soirée. et elle paniquerait probablement. son regard est fixé dans le vide, un verre d'eau à la main - elle le vide d'une traite. elle hésite, la belle blonde. d'habitude si confiante, ses pensées se bousculent, s'entremêlent et se croisent, et se séparent. peut-être qu'elle devrait rentrer chez elle, n'a-t-elle pas assez souffert comme ça? ces deux ans furent une torture, alors pourquoi se jeter à nouveau dans la gueule du lion, quand elle peut tout simplement abandonner? elle lui à dit - si elle ne venait pas, ce serait la dernière fois qu'elles se verraient. c'était l'occasion parfaite de se défaire enfin de l'emprise de cette femme. et pourtant, dix minutes avant l'heure de leur rendez-vous, chaewon se lève machinalement. elle est contrôlée par un instinct animal, par une pulsion, qui la mène dehors. et elle est là, au loin dans sa robe beige, le satin flottant autour d'elle, au téléphone, à parler avec une voix mielleuse. le coeur de la blonde se sert tandis qu'elle la regarde dans les yeux en raccrochant, après une dernière parole douce. tu es en retard. c'est faux, mais ça n'a pas d'importance. chaewon est figée devant elle, dans sa robe carmin, impuissante face au sort auquel elle se confronte désormais. qu'est-ce que tu me veux, éva? ça sort tout seul, le surnom français glissant de sa bouche naturellement. parce qu'elle sait tout sur elle, et qu'elle sait qu'elle est la seule. ça lui confère un avantage minime, mais c'est déjà ça. elle ignore entièrement la conversation téléphonique précédente, elle s'en fiche - elle sait déjà qu'elle a un fiancé, ce n'est pas une nouvelle. tout le monde en parle, en ville. ce qu'elle veut savoir, c'est pourquoi le monstre aurait besoin d'elle. tant de questions se bousculent dans sa tête, et pourtant c'est qu'est-ce que tu me veux qui sort en premier. elle aimerait qu'elle lui dise qu'elle l'aime encore, parce que le coeur de chaewon est faible, et que la moindre marque d'affection la ferait craquer. mais éva est imprévisible, et elle ne sait pas ce qu'il risque de se passer après. et le pire dans tout ça, c'est qu'une partie d'elle adore cette position d'infériorité.


@moon ji eun