C’était cette bande de garçons, de ceux qui rient un peu grassement, fort, plutôt dans le genre m’as-tu vu. Les cheveux colorés de ce pigment voyant qui les rendait si uniques, si différents, d’un autre genre d’un mauvais genre. Le piercing sur la tempe soulignait leur âge rebelle. Ils allaient, dégingandés, éreinter les jeux d’arcade un peu vieux ici mais tellement populaires aussi. C’était ces garçons qu’on avait l’habitude de regarder, de juger, de craindre aussi un peu, sûrement. Ils avaient les poings sales des demi-hommes qui se battent. Ils n’avaient pas tous mauvais fond, parfois ils se donnaient juste un genre. A d’autres, ils seraient allés au Diable.
On se serait demandé ce qu’elle faisait là, cette petite adolescente, ce long bras passé autour de ses épaules comme un signe d’appartenance. Ils affichaient leur faux amour ; ils étaient si peu assortis pourtant. Car elle avait au-dessus de son uniforme impeccable, la bouille légèrement pouponne. Elle allait doucement, engoncée contre le flanc d’un garçon beaucoup plus grand, beaucoup plus bruyant et indocile. Un goût de révolte sur les lèvres. Il était impétueux tandis qu’elle avait la mascarade douceâtre.
Ils étaient entrés en trombe, jouant de leur jeunesse effervescente, galvanisés par l’écho de leur rire. Des imbéciles heureux.
Nari donnait l’air de ne s’intéresser à rien, de suivre docilement le corps qui la traînait. Elle ne jouait pas, mais penchait de temps en temps la tête lorsqu’on appelait son nom, glissait un œil morne sur l’écran, mimait un sourire amusé avant de revenir sur l’écran de son smartphone poudré. Un instant, elle minaudait, les paupières à demi-closes, une main sur sa joue pour cacher l’émergence d’une faussette. Se tenant sur une jambe puis sur l’autre, sa petite fesse suivait le mouvement, et sa jupe un peu courte balançait au rythme de son déhanchement.
Elle donnait l’air de rien, jeune fille aux manières trop douces pour elle. Mais elle voyait tout, véritable aigle perché au sommet de sa montagne. Son œil, prédateur, fixait son champ de bataille. Car c’en était bien un. Nari allait à la vie comme en campagne, sa bannière quelques centimètres au-dessus de sa tête. Et comme rien non ne pouvait lui échapper, son regard avait fini par tomber sur une silhouette qu’elle connaissait à présent très bien. Elles étaient peu nombreuses, les gueules d’amour qui lui rentraient dans le lard. Truculent. Elle avait ricané si fort alors, conquérante qu’elle s’était sentie, reine, de ce garçon si passible à qui elle avait décroché la lune. Et la colère l’avait emplie d’une adrénaline bienveillante, d’un sentiment malsain.
Un sourire sinistre éveilla ses commissures.
Elle était ainsi, Nari. L’attention qu’on lui portait la flattait d’une façon étrange, sale.
Se dégageant de l’étreinte resserrée d’un garçon qu’elle n’aimait même pas, elle se faufila entre les machines imposantes jusqu’à rejoindre celle, convoitée, d’un Nova qui s’apprêtait à se lancer dans une nouvelle partie bien différente de celle qu’il croyait mener.
Bras croisés, elle adossa une fesse contre sa machine. Et tout. Absolument tout criait à l’agacement chez elle. De cette façon qu’elle avait d’investir le lieu jusqu’au croisement impertinent de ses jambes, de ce sourire désagréable dont elle ne savait se départir, de ce regard qu’elle avait si froid.
Et elle était restée là, les yeux plantés dans les siens. Sans mot dire, sinon en envoyant ses mauvaises ondes de pétasse qui lui collaient aux basques.